Les heures s’égrainent inlassablement. Le brouhaha des couloirs, contemplé dans l’étrange solitude d’un répit qu’il n’estime pas mériter. Tout ici est blanc, des draps aux murs, jusqu’à la blouse des quelques docteurs qui passent lui annoncer les résultats d’examens qui n’ont aucun sens à ses yeux.
Sur l’écran de la télévision perchée en hauteur, les images d’une conférence de presse laissent la parole au Capitaine de la FPH de Naperville. Le regard torve, Rozen s’extirpe des draps. Non, il n’était pas prêt à entendre parler de la fierté de la nation et des équipes de police de l’Illinois. Pas plus qu’il ne voulait regarder les quelques courriers posés sur sa table de chevet. THIRDS. Chicago FPH. Des entêtes et des lettre parées de gloire et de succès. Lui n’a que la gorge nouée, le regard fuyant. L’épais blouson qu’Alek avait laissé après sa dernière visite est presque rassurant. Enfilé d’un seul bras par-dessus un pyjama emprunté à l’un des infirmiers, tout éphémère est le sentiment de sécurité qui l’étreint.
Ses baskets couinent péniblement contre le linoléum des couloirs aseptisés alors qu’il obtient l’accord de la responsable d’étage pour une courte promenade dans les jardins. Il ne prend pas l’ascenseur, la claustrophobie encore présente. Les conversations d’étage en étage lui échappent. La réalité semble s’être tristement arrêtée. Il n’est qu’une figure perdue au milieu des ombres et des fantômes. Égaré parmi ces âmes vivantes ou apeurées. Lui ne voit que le bout de ce tunnel. La lueur y est éblouissante. Comme la fin du chemin. Comme la fin d’une route pavée des jeux d’une moitié injuste.
L'air d’automne lui arrache un frisson, une fois le seuil franchi. Remontant le col de sa veste pour dissimuler sa gorge, il soupire et rajuste le pan libre sur son bras blessé. Le petit chemin de gravier menant au patio devant l’hôpital est constellé de feuilles mortes. Rouge et oranger, jaune et brun calciné. Le frisson qui le traverse n’est pas celui du froid mais bien d’effroi. La peine de sa chair semble se réveiller d’un simple souvenir alors que ses doigts effleurent la gaze blanche tranchant l’encre de sa peau. La cicatrice s’y cachant le suivra certainement toute sa vie. Une de plus, une de moins.
Il a besoin d’un temps. D’oublier. D’une coupure et de tout effacer.
Rozen trouve à s’asseoir sur l’un des bancs libres longeant l’hôpital. Tant d’autres voguent en ces lieux, mais il n’a pas le force de s’attarder sur les mines graves, pas plus que celles marquées de larmes ou d’intenses joies. Lui se cache dans cette masse, anonyme au dos brodé des couleurs empruntées au THIRDS, voûté, le regard perdu contre les arabesques du vent portant la fin de l’été. Peut-être qu’aujourd’hui il trouverait le courage de poser sa démission. Peut-être qu’aujourd’hui il trouverait le courage d’appeler le grand tigre et lui avouer qu’il ne se sentait pas légitime à les rejoindre. Pas maintenant. Pas comme ça.
Tu ne mérites rien Rozen. Rien d’autres que ce mal qui t’accables.
Appuyé au tronc d’un arbre, protégé de sa rugosité comme de la fraîcheur de l’air par l’épaisseur de laine que camoufle son éternelle veste en cuir, Noah regarde la conférence de presse sur son portable. Sur l’écran l’homme s’agite, se regorge, pompeux et poncif alors que derrière lui des officiers aux traits tirés semblent prier pour que ça se termine. Il les comprend, l’intervention médiatique dure depuis trente deux minutes déjà et il y a huit mois qu’ils sont sur le pont, ils ont mérité un peu de repos.
Lui-même ne la suit pas depuis aussi longtemps, les premiers incendies sont passés relativement inaperçus, noyés dans la foule de nouvelles qu’il compulse quotidiennement. Comme à chaque fois il leur a accordé quelques minutes de lecture, une pensée pour les personnes impliquées, une prière pour les morts, et puis il est passé à autre chose. C’est le troisième qui a véritablement attiré son attention, de loin d’abord, et puis plus intensément à mesure que l’affaire avançait et passionnait les foules autant qu’elle les terrifiait. Il comprend, lui aussi a peur du feu, mais cette affaire avait le potentiel des grandes histoires, il le sentait. Et il avait raison puisque le voilà presque six mois plus tard à assister depuis un écran à la proclamation d’une résolution qui lui laisse un sentiment mitigé. Il est soulagé bien sûr, comme tous ceux qui vont enfin réapprendre le sens du mot sécurité, mais en même temps quelle fin étrange. C’est la raison pour laquelle il n’est pas à la conférence de presse. Sa fin il va l’écrire ici. Loin des discours officiels et des conclusions criminelles, il va parler des hommes. Des héros. Des victimes.
Et il va commencer par le premier d’entre eux, le jeune policier qui a affronté les flammes sans protections et en est sorti vivant contre toutes attentes. Un geste aussi fou qu’héroïque qui sous sa plume déchaînera les passions. Le héros avait un nom et un visage, il lui donnera une histoire. Et il compte bien en apprendre plus par la même occasion.
La veille un de ses nombreux contact l’a informé que la surveillance médicale rapprochée du jeune policier a été levée et qu’il était réveillé, c’est le moment idéal pour l’aborder. Maintenant ne reste plus qu’à trouver la manière de le faire. Passer par l’accueil avait été vain, par les infirmières aussi, alors le journaliste s’était décidé à attendre le changement de personnel avant de tenter sa chance à nouveau, avec des munitions cette fois. Cependant alors que la conférence de presse se termine et qu’il observe le va et vient des patients autour de l’entrée animée, quelque chose attire son regard. Un uniforme connu, seul dehors, sur un banc. La présence d’un membre du THIRDS en soi n’est guère surprenante, il en a vu beaucoup ces dernières semaines et déjà la veille plusieurs équipes se sont succédées, mais ils ne sont jamais seuls d’ordinaire.
Le fait l’intrigue et abandonnant son appui il s’approche pour mieux voir. Et la première chose qui lui saute aux yeux c’est qu’il est blessé. La seconde c’est que le blouson n’est pas le sien, il est bien trop grand.
« Avez-vous droit au café » ?
La tasse de carton fumante qu’il présente de la main gauche est une offrande explicite qui ne sera lâchée qu’au prix d’une réponse positive, qu’il ne remettra pas en doute parce que l’homme face à lui est un adulte.
Un adulte que d’ailleurs il réalise connaître quand le visage se tourne vers lui et qu’un regard éteint plonge dans le sien. Son jeune héros. Intéressant… Il l’a déjà croisé, de loin comme ça, une silhouette en uniforme parmi celles dont fourmillait le commissariat, une ombre parmi les autres auquel il n’avait prêté qu’une attention limitée, fruit de l’habitude plus que de l’intérêt. Mais le jeune homme était alors bien différent. Il n’avait pas traversé un incendie non plus.
« Bonjour. Je m’appelle Noah Carter, je peux m’asseoir » ?
L’occasion est trop belle pour être manquée, alors qu’il s’est déjà fait repousser deux fois voilà que son sujet vient à lui seul ? C’est le saint patron des journalistes qui s’est penché sur son épaule. Son visage s’éclaire d’un sourire amical alors que sa main désigne l’autre extrémité de l’assise de pierre froide cependant il reste debout tant que l’autorisation ne lui est pas accordée, sans que ça ne semble le troubler le moins du monde.
« Je ne vous ferais pas l’insulte d’ignorer qui vous êtes Lieutenant Gallagher, je suis ici pour vous. Bien que j’imaginais plutôt vous trouver au fond de votre lit. Vous avez le droit de sortir ou vous prévoyez une fugue en pyjama et blouson » ?
Aussi saugrenue qu’elle soit il semble vraiment envisager l’hypothèse, et baisse même le regard pour vérifier si son apprenti fugueur porte des chaussures, avant de le relever vers lui avec le même sourire avenant.
Rozen Gallagher
Messages : 10 Date d'inscription : 23/04/2022
Sam 30 Avr - 17:50
Les doutes n’ont jamais cessé de le poursuivre. Le poids de la culpabilité une arme létale pressée contre sa nuque, prête à s’abattre, guillotine cinglante n’attendant que l’assentiment de son bourreau. Solitude s’invite contre ses côtes, là où le palpitant s’emporte et s’empresse, l’aise est depuis longtemps envolée, laissant place au vice d’un mal qu’il ne pourra de son vivant jamais avouer.
Bras refermés autour de sa taille, l’évidence est à l’aigreur maladive qui le ronge, maigre protection contre tout ce que l’extérieur tente de lui infliger. Impossible de rattraper ses erreurs. Impossible de sauver ceux qui un jour auraient pu l’être. Lui, le rescapé. Sauvé par un homme qu’il admire en silence à chaque jour passant. Un homme qui l’a arraché d’un enfer qui lui semble presque tout désigné. Il y avait une place à son nom, dans ce brasier, et rien ne pourrait jamais l’effacer à sa conscience.
Perdu à ses pensées les plus funestes, entre dépréciation, reproche et regret, la paire de souliers se plaçant face à lui retient son attention sans qu’il ne parvienne à s’en inquiéter. Puis une voix s’invite à ce bal d’inadvertance, le forçant à relever les yeux. Jades incertains se perdent sur l’ébène d’un regard intense. Rozen reste immobile, d’abord, prenant compte de chaque détail. Ce visage ne lui dit rien. L’absence de badge médical lui signale immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un membre du personnel hospitalier. La tenue décontractée bien qu’élégante est la certitude qu’il pourrait s’agir de n’importe qui.
Mais n’importe qui pourrait être lui.
L’odeur du café ne lui parvient pas, emportée par la brise, au gré des volutes fumantes se dégageant des gobelets. Était-ce un geste courant ? D’aussi loin qu’il se souvienne, personne ne leur avait apporté autre chose que des regards compatissants et de la pitié. L’amertume du café lui semblerait presque bien plus douce que ces âpres souvenirs. Pourtant ici, à cet âge où plus personne ne le protège de rien, il se permet de rabattre un peu mieux le blouson sur ses épaules, comme si un simple vêtement avait ce pouvoir-là. Celui de le préserver de tous les maux, comme son propriétaire a su l’arracher des flammes.
Un hochement de tête, tandis que l’autre se présente, d’un nom qu’il n’arrive pas à replacer, pourtant persuadé de l’avoir déjà croisé. Un nouveau hochement de tête, il ne se déplace pourtant pas. N’étend pas non plus les mains pour collecter la boisson qui lui a été offerte. Le souvenir est encore trop frais contre ses sens. Comme si l’idée de toucher quelque chose de chaud pourrait rappeler à sa carne flétrie de fiel qu’elle n’était plus sienne.
Sûrement devrait-il répondre. Chercher à comprendre. Pourtant le policier détourne les yeux, comme pour fuir ce sourire tranquille. Comme si cette quiétude pouvait heurter ses pensées. Mais plus encore, c’est le frisson d’horreur qui lui remonte le long de l’échine qui finit de le figer. Car son nom n’est pas soufflé par inconscience. Car c’est son grade qu’on mentionne ici-bas.
Je suis ici pour vous.
Quelques paroles qui en un écho sordide lui glacent le sang. Prunelles fuyantes se voilent de peur tandis qu’il croise à nouveau le regard sombre. Est-ce que –
Même les propos qui suivent, se voulant probablement plus légers ne parviennent pas à le détendre. Ses doigts contre ses flancs se crispent tandis qu’il chuchote, rêvant de voir ses propos happés par le vent.
« Il n’y aurait nulle part où aller. »
La fatalité de ses mots est le glas de sa réalité. Les équipes du FPH devraient le disgracier. Le THIRDS prie ses louanges, mais il ne les mérite pas. Et l’ombre léchée par les braises d’une fournaise diabolique n’est pas là pour miséricorde lui souffler.
Aurait-il été plus simple d’achever tout ceci si tu avais encore été endormi ?
Quelque part, il ne croit pas au bien. Ne croit plus qu’il existe quelque part sur ces terres un lieu voué à l’accueillir sans le juger. Rozen déglutit et finit par baisser les yeux et ne retrouve pas contenance. Ne retrouve pas la force de se forger ce masque qu’il a toute sa vie portée. Peut-être que tout cesserait ici.
« En quoi puis-je vous prêter assistance ? »
La question ne brille pas de l’altruisme des forces de l’ordre. Pas plus qu’elle ne se démarque par le moindre sentiment de puissance ou d’assurance. L'ironie s'y goûte malgré elle, comme l'on tend l'arme qui mettra un terme à sa propre vie. A la manière qu’ont les révérends de demander aux condamnés à mort leurs dernières prières, Rozen préfère ne pas s’amadouer. Il ne demandera pas pourquoi. Il le sait d’ores et déjà.
Peut-être pourrait-il détourner le sujet. Parler de la conférence de presse. Des personnes qui les entourent. De l’indiscrétion que représenterait le fait de l’agresser ici. Peut-être devrait-il fuir et trouver une âme pour l’aider. Lui pourtant reste là, courbant l’échine tandis qu’il baisse la tête, portant le poids d’un fardeau qui n’est en rien l’étincelante couronne de la victoire.
« Je n’ai rien à vous donner. » Une pause, il se mord l’intérieur de la lèvre et susurre, la gorge serrée. « J’en suis navré. »
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