Signalement
Des étoiles perchées sur sa peau, comme la voie lactée s’étire en une nuit infinie, Rozen a hérité d’un peau d’encre et de lait, enfant aux origines plurielles. Tant d’autres parlent de gènes parfaits, la jonction idéale entre les continents. Lui croit surtout que sa stature reste la seule chose qui le préservera, du haut de son mètre quatre-vingt huit et de ses soixante-quinze kilos de musculature. Il ne battra pas un therian à main nue, mais l’ébène de ses cheveux collera à son front d’avoir essayé. Souple et agile là où le monde lui a appris que la fuite sera sa plus grande force, il est félin à l’encontre de ses racines. Toujours droit et paré d’une élégance qui ne réclame aucune forme de tenue, l’uniforme épouse ses lignes lorsqu’il ne décide pas de revêtir ce qui attirera naturellement le regard sur lui. Conscient qu’une constellation toute entière peut se glaner sur sa peau, il est la seule possibilité de beaucoup de posséder une part de la carte de l’univers tracée sur sa carne abjecte.

Parcours



Rozen se souvient du jeu de la lumière au travers des rideaux du séjour. Londres était ensoleillée pour l’une des rares fois de l’automne arrivé. Rowan et lui s’attardent à la construction de Big Ben au gré des blocs de bois laissés à leur disposition. Ils ne parlent peu, voire pas, se comprennent sans un mot, deux regards liés et la mesquinerie attachée à ces longs cils voilant deux paires d’iris aux reflets enjoués. Leur mère prépare le dîner du soir, l’un de ses rares jours de repos. Sur un air de radio elle fredonne quelques mots d’une langue étrangère.

Il suffit d’un rire, brisé, strident et malveillant. Rozen est le premier à se relever, curieux. Personne ici n’a cette voix, non. Rowan le suit, et mains liées, ils traquent l’origine d’un son qui plus jamais depuis ne les a quittés. D’une fourrure sombre, aux crocs luisants de salive, la bête se tient devant eux d’une taille terrifiante. Rowan crie, la bête hurle d’un rire tonitruant. Rozen se souvient du mouvement d’un animal chargeant sur lui. Mais ce n’est pas comme le chien de la voisine. Pas comme leur chat paresseux qui dort dans le bac de linge sale. La mâchoire de l’animal se referme sur sa hanche en une prise qui déchire la quiétude du soir.



Les années se sont échappées. Eux deux ne croient plus en rien. Londres n’est plus que le berceau de leurs souvenirs écorchés. Plus de dix ans se sont désormais écoulés depuis la première transformation de Senrys. Un souvenir qui jamais plus ne les a quittés. Une vérité que leur père a tenté par tous les moyens de défendre. Senrys et leur père sont différents. Si différents qu’ils n’ont jamais plus réussi à se rapprocher. Élevés par leur famille maternelle, les jumeaux ne sont plus qu’une ombre d’eux-mêmes. Une poupée désarticulée qui ne réagit plus comme il faudrait. Brisés et déterminés à changer. Du moins, Rozen l’est. Rowan… Rowan veut se venger.

Son premier coup sera de leur faire à tous les deux abandonner le nom de celui qui les a enfantés. Porter le nom de leur défunte mère est une plaie qu’ils espèrent un jour panser.



L’ire des flammes en une étreinte amante cherche la revanche de ses heures de gloire. Dans la pénombre du monde, le voile de lourdes paupières fuit à l’âme la réalité d’un amour incandescent. Dans le noir des ruines d’une vie n’attendant que sa fin, les tisons laissent des langues andrinoples lécher ce qui demain ne sera plus que la suie obscure de demain. Calcine les murs et les coloriages heureux d’un enfant dont les cris font écho aux sirènes hurlantes du dehors. Ici, le clair-obscur étire son ombre mortelle sur le corps de celui qui par l’inconscience bercé, perd à son monde un sourire fané. D’un crépuscule duquel le soleil s’étire à même la terre, l’arsin porte les cicatrices d’une course entêtée où du chasseur au chassé, le traqueur se retrouve pris au piège qu’il a un jour pensé avoir lui-même tendu. Et là où la lumière s’empare de la chair, le brasier s’entiche et s’envoûte d’un nouvel époux qui jamais plus ne pourra lui échapper.

Sur son corps reste la trace infecte d’une brûlure ayant volé à la toile de sa peau toutes traces d’un ciel étoilé.



Le regard perdu sur le sol des vestiaires, c’est le ton sombre de la voix de son partenaire qui l’arrache de sa contemplation. Rozen s’extirpe à sa torpeur, mesuré, observant les prunelles jade du loup se dressant devant lui. Entre ses mains, quelques mots s’estompent alors que la luminosité de son téléphone s’essouffle.

Expéditeur : Rowan. « Je te ferai payer. »