Parcours/!\ Violence (combat).
“Viens, on s’casse.” Il murmure, cette nuit là.
“Là, maintenant, on fait nos valises et on s’tire. On part tous les deux, loin d’ici. On s’barre voir le monde, en Corée, au Japon, ou en Espagne si tu veux, mais on bouge, on reste plus là comme on le fait depuis toujours, on découvre.”Et Ashley rit. Il rit doucement, comme le bruissement du vent dans les feuilles des arbres ou une caresse sur l’océan, sans tonitruance. Un peu comme un blessé, un désillusionné qui ne croit plus en rien, plus en la joie ni l’amour et plus en la vie qui brûle au fond de leurs corps assoupis. Et c’est l’inverse, pour une fois, c’est lui, Avis, qui a l’espoir étincelant dans les yeux et la poitrine soulevée par les rêves. C’est lui dont le souffle se perd sur l’impatience et la fougue ardente d’une jeunesse dont ils n’ont pas tant profité. C’est lui qui s’imagine. Qui s’illumine. Au gré de ce désir qui déjà s’étiole alors que la réponse de son petit frère se fait attendre. Ashley, qui tient ce songe entre ses doigts, le pèse et le soupèse comme pour l’entrevoir. Allez Ash, il voudrait hurler, on plaque tout et on disparaît, on recommence tout ailleurs, en mieux, tous les deux, mais il le regarde et il se tait.
“T’es complètement fou.” Ashley finit par ricaner. “On ferait quoi tous les deux au bout du monde ? Tu sais rien faire à part te battre, et je sais rien faire d’autre que dégotter des corps et des visages qui rapporteront un maximum.” Il y a un sourire sur sa bouche qui n’a rien de joyeux, un sourire qui blesse doucement l’âme de l’aîné. “Tu ferais mieux d’aller dormir au lieu de trop penser. Tu vas finir par te faire du mal.”
Il le sent se tordre, son cœur, se tordre de frustration alors que ses entrailles se rebellent et rugissent pour tirer d’entre ses lèvres une protestation qu’il retient. Muselle. Ce sera vite oublié. Détruite, cette pensée, avec la clope qu’il éteint et jette dans le cendrier, parcourant les quelques centimètres qui les séparent pour l’attraper au creux de ses bras. Dans une étreinte d’ours, de frère au cœur en berne d’une magnifique illusion.
“Tu es devenu si raisonnable, mon Ash.”“Faut bien que l’un d’entre nous le soit.”
Avis le sent sourire contre son épaule et Ashley le serre en retour avec la même force, alors un instant ils ont l’air de deux naufragés qui n’ont plus rien au monde que l’autre sur le sable de leur île, et c’est un peu ce qu’ils sont depuis toujours d’un côté. Deux âmes entremêlées. Enchaînées l’une à l’autre. Avis les entend encore, les sanglots de son tout petit frère, le jour où Tobias l’a déposé devant la grande grille du pensionnat de Londres. Il les voit, ses larmes, et les sent sur ses lèvres qui les ont essuyées doucement du bout d’un baiser, tempête d’eau salée. Il se souvient de son prénom, crié avec la force d’un ouragan désespéré, et du regard noir de jais qu’il avait lancé à son père, ce géant, de sa taille de petit bonhomme. Jusqu’à ce qu’Ashley le rejoigne, l’année suivante, alors il n’y avait plus eu qu’eux deux au monde.
“Tu penses à quoi, encore ?” Ashley murmure au creux de son épaule.
“À tes larmes de crocodile quand Tobias m’a collé au pensionnat.”Ils ricanent de concert en taisant combien ils ont été blessé cette année là avec le départ sans même un au revoir de cette mère qui les a mis au monde, puis six mois plus tard l’envoi d’Avis à Londres comme une seconde trahison. Deux gamins de dix ans et leurs deux cœurs en miettes.
“Comme si t’avais pas chialé, toi aussi.”
“Bien sûr que non. J’allais pas me plaindre d’être enfin débarrassé de toi.”“Mens autant que tu veux, je me souviens parfaitement de tes yeux gonflés même si tu faisais tout pour jouer au dur.”
Son rire s’élève de nouveau alors qu’il assène une tape sur l’épaule d’Ashley. Un pas en arrière du plus jeune les sépare de nouveau, mais leurs regards s’accrochent l’un à l’autre et ils ont l’air si semblables avec leurs boucles brunes, leurs sourires et leurs visages fins. Mais là où Avis a sans conteste hérité des yeux gris de son père, leur mère a confié à Ashley la couleur sombre des siens, la seule chose qu’elle leur ait laissé avant de disparaître du jour au lendemain.
“Je t’aime, Ave. Même quand tu chiales, tu restes mon grand frère préféré.”
“Moi aussi je t’aime, petit frère.”Avis l’a gavé d’amour pour qu’il ne se sente jamais oublié. Même dans la tristesse ou la douleur, même quand la rage cognait le fond de son corps et qu’il avait envie de frapper, frapper, frapper encore, il a toujours pris soin d’Ashley. Il a séché ses larmes quand sa première copine l’a lâché. Il a soigné ses bobos, pansé chacune de ses plaies. Éclaté la gueule d’un type qui avait osé le menacer, d’un second et d’un autre encore. Il s’est battu. Au départ un peu seulement, puis de plus en plus souvent et on l’a menacé de renvoi, mais à coup d’argent parfaitement injecté par Tobias ils ont été contraint de le garder. À terme, Ashley était devenu le seul à oser l’approcher et entre les murs de l’école il n’avait pas eu d’autre choix que de se calmer.
“Je te dois beaucoup, tu sais. T’as toujours été là pour moi. Tu t’es foutu dans les galères pour me sauver le cul. Tu parvenais toujours à me faire rire même quand je pensais être au fond du trou.” Ashley se penche pour attraper une clope, qu’il glisse entre ses lèvres, allume. “Même quand t’as commencé les combats, tu revenais éclaté, pété de partout, et t’étais quand même là pour prendre soin de moi et écouter mes malheurs. C’était pas grave si tu pissais le sang, tu me disais quand même de tout te raconter.”
C’est vrai. Il le serrait fort dans ses bras tremblants d’effort, tâchant ses fringues de rouge avec un souffle brisé de douleur mais il s’en foutait tant qu’Ashley n’était plus triste, tant qu’il n’était plus seul, tant qu’il versait contre son torse tout ce qui lui broyait le cœur.
“J’aurais pas pu rêver meilleur frère que toi, vraiment.”
Ça lui prend la gorge, ça fait monter les larmes au fond de ses yeux et il les masque dans un sourire égal à l’émotion qui s’accroche à sa poitrine. Mais en réalité il peut bien les verser celles-là, Ashley a tout vu de lui, le connaît mieux que quiconque. Même Tobias, même leur père ne connaîtrait jamais ne serait-ce que la moitié de son âme : il l’en maintenait depuis des années fermement éloigné, ce n’est de toute façon pas exactement comme s’ils avaient eu quelque chose à se dire ces derniers quinze ans écoulés.
“Tu fais chier, Ash.” Il attrape la clope des doigts du plus jeune qui la lui tend et tire dessus longuement.
“T’arriveras pas à me faire chialer ce coup-ci.” D’une expiration, il crache la fumée vers le ciel noir au dessus de leurs têtes et les étoiles se voilent l’espace minuscule d’un instant.
“Mais moi non plus. J’aurais pas pu rêver meilleur petit frère.”Ils restent là un instant à écouter sans un bruit Pumped Up Kicks chantée depuis la chaîne hi-fi du salon. Ashley lui abandonne sa clope et s’en allume une autre, s’adossant à la rambarde quand Avis s’y accoude, plutôt.
“Tu vas déchirer, demain.” murmure Ashley.
“Comme d’habitude.”Il ricane.
* * *
“Come on, Ave!”
Avis l’a compris depuis quelques secondes déjà, il perd du terrain. Ses jambes sont douloureuses. Ses poings tremblants. Tandis que son propre sang imbibe lentement les bandes enroulées autour de ses doigts. Et l’autre cogne, atteint ses côtes et lui tire un grondement rauque. L’oblige à reculer d’un pas au milieu des cris. De la folie des Hommes. De cette fièvre qui envahit l’endroit et s’insère au fond de son cœur, au creux de ses tripes ; Avis s’en nourrit. Il y puise sa force et relève des yeux déterminés vers ceux de son vis à vis, un sourire suffisant brodé sur ses lèvres alors qu’il se précipite sur lui, encaissant un coup de plus contre son ventre quand le nez de l’adversaire craque sous le sien. C’est maintenant - s’il le laisse frapper encore, il sait qu’il ne s’en relèvera pas - maintenant qu’il doit puiser dans ce qui lui reste d’énergie pour mettre un terme à ce spectacle ensanglanté.
“Bloody yes! Kick his ass!”
Il ricane entre ses dents, le souffle bas, alors que son genou s’écrase dans l’estomac et ça braille autour, ça encourage dans un dernier sursaut le champion qu’ils ont choisi tandis que les coups pleuvent dans un ultime effort. Jusqu’à ce que l’autre s’effondre et qu’Avis, le souffle court, tombe sur un genou, une grimace collée sur la gueule et sa main crispée sur son flanc. Un visage apparaît d’un seul coup dans son champ de vision, lumineux, souriant, avec les mêmes cheveux noirs que lui qui tombent en boucles soyeuses sur des épaules frêles.
“You got it! You beat him, Ave! Oh my God, for a moment I thought he was going to win, but you did it! You were awesome! Bloody awesome!”
Il marque une pause dans son babillage incessant pour le regarder et ses sourcils se froncent.
“Ave? You okay ?”
“I think this asshole broke my rib.”Il s’étrangle sur les mots.
15.12.1996 : Naissance de Avis Green (humain).
11.11.1997 : Naissance de Ashley Green (humain).
Janvier 2007 : Départ de leur mère (humaine).
Septembre 2007 : Entrée d’Avis au pensionnat de Londres.
Septembre 2008 : Entrée d’Ashley au pensionnat de Londres.
Courant 2010 : Tobias (humain) obtient un visa pour les États Unis où il monte sa boîte (qui n'est qu'une couverture pour des activités bien plus illicites), dans le but de faire gagner du terrain à la mafia anglaise.
Janvier 2012 : Avis dispute son premier combat clandestin.
Octobre 2012 : Tobias découvre les activités périscolaires de son fils et le fait bosser pour lui (combat) sur la branche de Londres.
Septembre 2014 : Entrée à l’université de Cambridge (parcours Sciences Politiques).
Novembre 2014 : Abandon de son cursus, Avis est intelligent mais il a la flemme. Après obtention à son tour de son visa (travaille officiellement pour la boîte-couverture de Tobias), il rejoint son père et son frère à Chicago. Entre officiellement dans la mafia (combats, trucage de paris, très occasionnellement trafic de drogues).